Parmi les auteurs, un vieux débat fait rage : les personnages créent-ils l’intrigue ou sont-ils créés par l’intrigue ? Les curieux et auteurs débutants qui passent sur cet article se demanderont peut-être ce qu’on en a à faire, mais la réponse est cruciale car elle détermine la méthode de travail, à savoir :
- Dresser le profil du personnage avant de passer à l’intrigue.
Exemple : j’écrirais bien l’histoire d’une prof de philo dépressive ex-fan de jeux vidéo. Qu’est-ce qu’il pourrait bien lui arriver ??
- Écrire les grandes étapes de l’intrigue, puis se demander à quel personnage il pourrait arriver des trucs pareils.
Exemple : j’écrirais bien l’histoire d’une personne qui tombe amoureuse d’un personnage de jeu vidéo. À quoi pourrait ressembler cette personne ?!
J’avoue que mes premières tentatives de romans et courts-métrages n’ont pas vu l’ombre d’une fiche personnage. J’avais une idée de départ et je me lançais en comptant sur l’inspiration. Sur les courts-métrages, la non-méthode a fonctionné mais pas sur les romans.
Aujourd’hui, sur des projets complexes, je ne me lance plus dans le plan de l’histoire si je n’ai pas une idée relativement précise des principaux personnages qui vont l’incarner.
La naissance du personnage principal
Les personnages principaux de mes histoires ne naissent pas tous de la même façon :
- La rousse : je voulais montrer comment une vie se construit en abordant trois périodes charnières : le passage à la vingtaine, la trentaine, la quarantaine. J’ai eu cette idée en réfléchissant à mon parcours chaotique et il m’a semblé évident de m’en inspirer pour écrire cette série. Cendrelle – qui est le personnage principal – est donc mon avatar… en plus gai et optimiste vu que c’est une comédie.
- La police du suicide : ce court-métrage est la libre adaptation d’une nouvelle, dont j’avais beaucoup aimé l’humour. La fin de cette nouvelle m’ayant paru gentiment naïve, je me suis demandé ce qui pourrait réellement inciter une personne à renoncer à se suicider. Dans mon scénario, le personnage principal est en partie inspiré du héros qui mène l’intrigue de la nouvelle.
- Le bon numéro : l’idée de ce court-métrage m’est venue après quelques conversations surréalistes avec le service client d’un opérateur téléphonique. Le personnage principal, tantôt jeune homme tantôt jeune femme, est longtemps resté flou. J’ai dû attendre de trouver une muse pour que l’identité de mon protagoniste se débloque.
D’où viennent tes personnages de La rousse 2 ?!
Sauf exception, une histoire ne va pas très loin sans personnages secondaires pour interagir avec le héros ou l’héroïne. Dans le tome 2 de La rousse, j’ai compté près de 40 personnages entre la famille et les amis de Cendrelle, le personnel du Grand Bazar, les profs et élèves du Cours Florent, l’équipe de tournage de la Fémis, etc. Comment les ai-je créés ?
Les personnages hommages :
Ils sont inspirés d’une personne réelle, qui m’a particulièrement marquée ou touchée. Par exemple :
- Élianne, la directrice du Grand Bazar est inspirée d’une de mes responsables au Printemps. C’était une femme complexe, avec qui j’ai beaucoup appris et je n’aurais jamais pu imaginer de personnage de directrice plus intéressant qu’elle. Même si je suis loin d’avoir utilisé tout le potentiel de cette muse.
- Siegfried, un élève du Cours Florent est inspiré d’un copain très drôle et sympa avec qui j’ai passé ma première année à l’école et que j’ai malheureusement perdu de vue par la suite.
- Lucas, le frère de Cendrelle est en partie inspiré de mon frère, même si je tiens à préciser que mon frère n’est pas du tout un queutard mais un honnête père de famille. La comédie nécessite en effet souvent de donner à un personnage des traits de caractère caricaturaux.
Les personnages « surprise » :
Ce sont des personnages qui ne sont inspirés par personne et s’imposent dans une intrigue sans que je sache d’où ils viennent. Exemples :
- Jo, la prof de théâtre. Ce personnage n’a rien à voir avec ma prof de première année au Cours Florent, qui était très jeune et douce comme une plume. Quand j’ai créé ce personnage, l’image de cette femme en noir très impressionnante s’est présentée à moi et je n’ai eu aucun mal à lui construire un profil détaillé.
- Lola, la copine caissière de supérette. Cette jolie blonde avec un faux-air de Marilyn Monroe ne ressemble à aucune de mes amies. Peut-être m’a-t-elle été inspirée par la lecture de l’autobiographie de Marilyn. J’avais en effet été touchée par l’intelligence et la grande lucidité de ce sex-symbol international, qui disait aimer lire.
Les personnages plus utilitaires :
Ce sont des personnages dont le rôle est très limité dans l’intrigue et qui n’évolueront pas ou peu. Généralement, ils ne sont pas prévus avant l’écriture et n’ont donc pas de fiche. J’improvise leur profil au fil de l’eau en fonction des protagonistes qui existent déjà, en tentant de leur donner un minimum d’identité par l’apparence ou le caractère. Ils peuvent ne ressembler à personne en particulier, mais il m’arrive de faire un clin d’œil à une personne un peu perdue de vue (Hello, Meyrem !).
Comment je choisis le nom de mes personnages
Sauf personnages « surprise » qui ont la gentillesse de vous donner leur prénom en arrivant, personnages hommages qui le sont tellement qu’ils gardent le leur – ex : Siegfried et même Dominique, qui est inspiré en partie d’un ami d’enfance – il faut nommer tous les autres.
Les personnages positifs :
Concernant les prénoms, je me base sur l’année de naissance et je choisis parmi les 100 prénoms les plus attribués, de façon à ancrer mon personnage dans une génération. Ex : une fille née au début des années 80 a de bonnes chances de s’appeler Sylvie, un garçon Christophe.
Pour les noms de famille, j’ai tendance à piocher dans ceux qui font partie de mon passé. Ex : Jo – la prof de théâtre de La rousse 2 – s’appelle Hidirouglou, nom de ma prof de français de collège. J’ai voulu lui rendre hommage car elle avait une sacrée personnalité et un humour pince-sans-rire réjouissant – nous traitant tous de « mollusques » et « d’indécrottables analphabètes ». C’est aussi cette femme qui m’a fait découvrir mes premiers textes de théâtre.
Les personnages négatifs :
Leur trouver un prénom est assez compliqué, les proches des auteurs ayant la fâcheuse habitude de chercher des ressemblances avec les personnages. Plus une famille est grande (comme la mienne) et plus vous avez d’amis, pire c’est. Je me casse parfois la tête pendant une demi-heure à choisir un prénom en me demandant si untel ou tel autre, qui ont le même, ne vont pas mal le prendre et penser que je les trouve grossiers, radins, bêtes, etc.
Les personnages trop positifs :
Idem quand je choisis le prénom de mon jeune premier. Il est totalement impensable de prendre le prénom d’un membre de la famille. J’ai d’ailleurs changé in extremis en Gabriel le prénom de mon jeune premier de La rousse 1, qui s’appelait Raphaël, en apprenant que mon petit cousin venait d’être prénommé de cette façon. Ça vous paraîtra peut-être bête, mais quand j’en ai parlé à ma tante a posteriori, la jeune et digne grand-mère – qui avait lu mon premier bébé – a semblé approuver mon initiative. Ceux qui l’ont lu aussi comprendront peut-être pourquoi. 😀
Comment je construis mes personnages
Plus pratiquement, j’utilise une fiche pré-remplie pour construire mes personnages principaux. Sur La rousse 2, j’ai construit la fiche détaillée de 10 personnages sur les 40. Je n’utilise pas le modèle d’un livre de dramaturgie ou d’un autre, mais une compilation personnelle issue de mes lectures.
Ma fiche aborde de nombreux points comme le physique du personnage, sa personnalité, son objectif dans l’histoire, son évolution, son besoin moral, ses relations avec ses principaux interlocuteurs dans l’histoire, etc.
Je ne rentre pas dans le détail de ce sujet technique, car il existe de nombreuses méthodes de construction de personnage. Je renvoie les auteurs aux livres qui traitent d’écriture de scénario, car ils abordent cette question de façon très précise.
Je suis loin d’utiliser toutes les infos accumulées dans ces fiches-personnages, mais elles me sont indispensables pour commencer le plan de l’intrigue.
L’orchestration des personnages
Construire une histoire avec plusieurs personnages revient à créer une sorte d’orchestre. Si trop de personnages jouent d’un même instrument, le résultat manquera de profondeur et de conflit. Il est donc important de les différencier pour qu’ils confrontent leurs points de vue sur la question à laquelle tente de répondre l’auteur au cours de son récit.
Exemple : la question que pose La rousse est : est-on vraiment libre de choisir sa vie à notre époque ? Les personnages sont construits de façon à ce que chacun ait un point de vue différent :
- Cendrelle porte mon point de vue et pense que oui ;
- Lola le pense déjà moins ;
- Claire ne le croit pas du tout ;
- Dominique en doute ;
- Nicolas a envie de le croire ;
- Marie-Rose l’a cru étant jeune ;
- Élianne ne l’a jamais pensé ;
- Jo sait ce qu’il en coûte de l’avoir pensé ;
- Les élèves de la Fémis le pensent sinon ils n’auraient pas été reçus dans cette prestigieuse école de cinéma, etc.
Dans votre orchestre de personnages, le héros ou l’héroïne doit avoir des alliés et (surtout) des opposants, ainsi que des faux-alliés, des faux-opposants, etc. afin d’enrichir situations, conflits et dialogues. Sinon, pour dire vulgairement, on s’emmerde… Dans La rousse 1, Cendrelle-Flamme étant la protagoniste, elle a autour d’elle au Dream Camp :
- Une alliée : Céline (sa copine) ;
- Des opposants : Gabriel (le jeune premier), Camille (le « banquier »), Bruno (le vacancier indélicat) ;
- Un faux-allié : Fred (le jeune animateur).
C’est à peu près tout car ce tome 1 est très court. Je vous épargne la liste sur le tome 2…
Biblio : deux livres avec – entre autres – un chapitre très intéressant sur les personnages :
- Anatomie du scénario, John Truby.
- Writing for emotional impact, Karl Iglesias (non traduit, mais accessible).
Certains personnages évoluent au cours de l’écriture
Certains personnages me donnent parfois du fil à retordre. Au cours de la vingtaine de versions de mon court-métrage La police du suicide, deux des trois personnages principaux ont plusieurs fois changé de sexe, de couleur de peau, de milieu social, de passé jusqu’à ce que leurs profils me permettent d’aboutir. Tant que je n’ai pas trouvé les bons personnages, je n’ai pas réussi à construire une intrigue originale.
De même, dans La rousse 2, mon intrigue a mieux progressé quand Pascal, le responsable du rayon Homme du Grand Bazar, est devenu une femme. Je voulais construire un personnage d’homme moderne, mais j’ai fini par m’apercevoir que j’obtenais plus une caricature qu’autre chose.
Quant au personnage de Nicolas, toujours dans La rousse 2, il a décollé quand il est devenu barbu. Ce n’était pas du tout la mode en 2000, mais cette particularité le rend du coup plus actuel. Cette barbe m’a aussi permis un retournement de situation amusant, pas du tout prévu à l’origine.
Lire aussi : La barbe des barbes !
C’est quoi un bon personnage ?
Je sais que j’ai un bon personnage quand il se produit plusieurs choses :
- J’ai envie de passer des mois ou des années en compagnie de ce personnage ;
- Il m’inspire des situations au cours de l’écriture auxquelles je n’avais pas du tout pensé au stade du plan. En somme, il vit sa vie !
- Il commence à parler tout seul, c’est-à-dire que ses répliques viennent naturellement quand je le plonge dans une situation précise avec tel autre personnage. C’est bien pratique…
- Je me sens frustrée en finissant l’histoire car je trouve que ce personnage reste sous-employé. C’est le cas de Jo, la prof de théâtre et d’Élianne, la directrice du Grand Bazar. Elles avaient beaucoup plus à dire, mais auraient risqué de prendre trop d’importance dans l’intrigue.
C’est quoi un mauvais personnage ?
Si vous aimez lire et qu’un livre vous tombe des mains après quelques dizaines de pages ou si n’avez pas envie de poursuivre une série entamée (pas la mienne, j’espère…), c’est peut-être que les principaux personnages n’ont pas été assez travaillés en amont de l’écriture. Le héros n’est pas vraiment original, n’a pas d’objectif clair ni d’opposant fort ; il n’a pas de passé, n’évolue pas, ne dit rien d’intéressant et ne génère pas d’empathie. Bref, vous vous fichez complètement de ce qu’il peut bien lui arriver – même si c’est horrible (qu’on en finisse !!) – et n’avez qu’une envie : dormir !
C’est un défaut que je retrouve malheureusement dans un certain nombre de livres d’auteurs débutants (ou pas), qui font trop confiance à leur inspiration. Or, rares sont les auteurs qui peuvent se dispenser d’un bon travail préparatoire et je sais que je n’en fais pas (encore) partie.
Ceci dit, pour moi les mauvais personnages sont comme les mauvais comédiens : ils n’existent pas. Il n’existe que de mauvais metteurs en scène et de mauvais auteurs. N’importe quel personnage qui est venu frapper à votre porte de romancier.e peut devenir excellent. Il suffit – comme les bébés – de l’aider à grandir en utilisant les outils que j’ai évoqués. Cela demande du temps et de la sueur, mais si vous prenez cette peine vos héros et héroïnes vous le rendront au centuple quand il s’agira de raconter leur histoire.
Merci Suzanne de nous ouvrir les méandres de ton processus de pensée … c’est très instructif 🙂