Jusque vers trente ans, quelques personnes m’ont considérée comme une sorte d’exemple. J’avais décroché – non sans mal – des diplômes respectables, puis obtenu un poste valorisant dans une grande entreprise. On rapportait mes exploits à ses enfants en concluant : sois sage, fais bien tes devoirs et un jour tu réussiras aussi bien que ta sœur, ta cousine, ta copine. C’était flatteur pour moi et chiant pour les autres mais, à l’époque, je ne m’en rendais pas compte. Il y a une quinzaine d’années, j’ai quitté les voies exemplaires du jeune cadre dynamique pour emprunter celles plus hasardeuses de la vie d’artiste et depuis plus personne n’a – je crois – songé à me citer en exemple.
Tu n’es plus un exemple !
Je ne me formalisais pas d’avoir perdu mon piédestal jusqu’à ce qu’une personne m’accuse de ne plus être un exemple pour elle. Sa déception était manifeste et sur le moment, je n’ai pas su quoi répondre. Ni même quoi penser. Devais-je culpabiliser ? M’excuser ? Voulait-elle dire que j’étais devenue une mauvaise personne ? Cette réflexion m’a beaucoup interpellée et, après l’avoir tournée et retournée dans ma cervelle, j’en ai conclu que c’était une bonne nouvelle. Il existait quand même des exemples plus prestigieux que moi en France ou à l’étranger ! Avoir ponctuellement une conduite exemplaire est une chose, rester un modèle de vertu et de sagesse toute sa vie en est une autre : or j’étais trop loin de l’un ou de l’autre pour endosser ce rôle de sainte.
Un exemple doit être infaillible
Qui ne rêve pas d’avoir une « perfect soul », comme le dit la chanson ? Moi aussi j’en rêvais ! Mais j’ai fini par comprendre que la meilleure volonté n’empêche personne de faire des erreurs. J’en ai fait de belles et en ferai sans doute encore. Je revendique ce droit à l’erreur – incompatible avec la notion d’exemplarité – parce qu’il me permet d’innover, de prendre des risques, d’inventer ma vie. Et tant pis si je me casse la figure de temps en temps. En attendant que j’aie trouvé un bout de route à peu près sûr, il vaut mieux éviter de suivre mon exemple.
Quand j’étais (plus) jeune, la vie de plusieurs personnalités me paraissait exemplaire, mais cette belle image a rarement résisté au temps. J’ai fini par réaliser que les exemples qui me restaient étaient tous morts depuis des dizaines d’années ou plus. Comment ces personnes avaient-elles réussi le prodige de rester des exemples ? Sans doute parce que leurs erreurs avaient été enterrées avec elles ou discrètement poussées sous le tapis par les historiens. Aujourd’hui, je ne cherche plus de modèle. Pourquoi ? Notamment parce qu’il risque d’être périmé.
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Un exemple repose sur des valeurs du passé
Dans l’idée de beaucoup de gens, l’exemplarité repose sur des valeurs intemporelles. Pourtant la femme éduquée, économiquement indépendante – considérée comme un exemple dans la France actuelle – ne l’était pas particulièrement au début du XXe siècle. Quant aux personnes issues des « minorités visibles », peu de gens les auraient citées en exemple, même si leur conduite avait été irréprochable. En moins d’un siècle, les valeurs ont donc beaucoup évolué. Poursuivre la course à la réussite sociale dans un secteur ni bio ni équitable m’aurait-il permis vingt ans plus tard de rester un exemple ? Pas sûr. Vouloir rester un exemple c’est prendre le risque de s’enfermer dans des valeurs figées, qui ont satisfait ou arrangé une majorité de gens à une époque, ce qui n’est même pas bon signe car le plus grand nombre est rarement à la pointe de l’innovation.
De la notion d’exemple à celle de conduite exemplaire
Ne pas chercher à copier tel ou tel autre n’empêche pas de s’inspirer de ce que certains de nos concitoyens font de remarquable dans leur vie personnelle, professionnelle ou lors de circonstances exceptionnelles. Le héros d’un jour peut s’avérer un sale con les 364 autres jours de l’année. Ce sera bien sûr décevant, mais n’enlèvera rien à l’exemplarité de son acte. De même, on ne met pas à la poubelle le travail utile à tous d’un chercheur, d’un prix Nobel, d’un génie des Arts et Lettres, ou de n’importe qui d’autre sous prétexte que ces personnes ont commis des erreurs graves par ailleurs.
En attendant de trouver de véritables sages à imiter, je m’efforce de réfléchir aux conduites et aux opinions qui me paraissent ponctuellement inspirantes. Quand j’en croise une qui m’aide à diminuer mon empreinte carbone, être en meilleure santé, travailler plus efficacement, réduire mon stress, me motiver, enrichir ma vision du monde etc., j’essaie de l’appliquer. Mais quand c’est une nonagénaire qui fait des sauts de main ou un bio-militant qui remplace le papier toilette par des lingettes lavables pour atteindre le zéro déchet, j’admets que ce genre de performances – pour exemplaires qu’elles soient – ne sont pas à ma portée. Et de petit bout d’exemple en petit bout d’exemple, je tente péniblement de m’améliorer.
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Devenir soi-même
Quels que soient mes efforts pour y parvenir, il est peu probable que je redevienne un exemple. Qui serait d’ailleurs assez fou pour traverser les mêmes galères que moi dans l’idée de me ressembler ?! Si mon moi de vingt ans pouvait voir ma vie d’aujourd’hui, elle ne prendrait sûrement pas le risque de suivre mon exemple et demanderait illico à être réincarnée en quelqu’un d’autre. Par contre je suis sûre qu’elle m’envierait de travailler dans le cinéma, de tenir un blog ; elle serait fière des livres et des films que j’écris. Et j’espère qu’elle ne serait pas trop mécontente de la personne que je suis devenue.
Puisque c’est déjà ou bientôt la rentrée, je vous encourage à sauter de vos piédestaux, à plaquer vos soi-disant exemples pour chercher votre propre voie, vos propres valeurs, avec un seul objectif : devenir vous-même. Si vous réussissez à construire quelque chose de personnel et unique, peut-être se rappellera-t-on de vous et vous citera-t-on un jour en exemple. Et si ça n’arrive jamais, tant pis. Ou tant mieux. Qui sait ?
S’affirmer, s’afficher tel que l’on est, devenir soi-même… mais, mais, c’est du développement personnel, ça ! Lol. Il est 6h56 et je démarre bien ma journée avec ton article, Suzanne. Je pense que mon moi de 20 ans en me voyant m’investir dans mon rêve de vivre de ma plume serait très fier de moi. Au plaisir de lire ton nouvel article. A bientôt.
Euh oui, comme Monsieur Jourdain, je dois faire du développement personnel sans le savoir… 🙂 Sûr que ton moi de 20 ans serait super fier… Que la muse soit avec toi !
Merci, Suzanne !